Il faudrait que je descende à la cave ces trois bouteilles de bière qui traînent et puis que je me rase aussi et que je ne m'égare plus sur internet. Le temps que je perds sur Facebook, si je le passais à faire des choses utiles… Je pourrais avancer sur mon roman. Mais est-ce utile, écrire un roman ? Et l'utilité est-elle utile ? Ne serait-elle pas plutôt encombrante ?
Quand je serai à la retraite, je me limiterai à quatre heures d’écriture le matin — je suis du matin —, et puis deux heures de ménage et deux heures de bricolage durant l’après-midi, après la sieste. J'assurerai en plus le repas du soir et la vaisselle, à la main. Je n’ai jamais voulu qu’on ait un lave-vaisselle. Ce temps-là, je pourrai le comptabiliser dans le temps de ménage de l'après-midi, à la rigueur, si j’ai eu la flemme dans l’après-midi. Mais cuisiner le soir, ça, il faut que je m’y tienne pour alléger le fardeau de Luce ; elle ne sera retraitée que dans 13 ans, la pauvre ! Enfin, c’est peut-être moi qui suis à plaindre d’être déjà vieux…
Je pourrai aussi m’occuper du jardin quand il fera beau : arracher les haies, planter des hortensias sur les bordures, tailler le houx, arracher le framboisier près de la maisonnette et remplacer le lilas.
Mais surtout, surtout, il ne faudra pas oublier de m’enrichir. Pour écrire, si écrire est important, il faut ne pas s’appauvrir, ne pas faire le vide autour de soi, ne pas se couper des autres, sortir, voir des gens, vivre des situations — Plus elles seront rocambolesques, plus elles seront fécondes —, passer des soirées à discuter, boire des coups, s’enivrer, tomber amoureux, mais pas dans le sens habituel, tomber amoureux d'un moment, d’un patron de bistrot, d’un type qui te prend en stop parce qu’il ou elle nous rend heureux de vivre.
Et puis prendre des risques. C’est capital. Ne pas se perdre dans son petit confort, dans ses petites certitudes, dans son petit train-train, dans ses petites listes. Tout casser et recommencer.