Elle avance dans la nuit des hommes, drapée d’ombre et de clarté.
On l’appelle Justice, mais nul ne sait vraiment qui elle est.
Certains la voient comme une reine, d’autres comme une mendiante.
Elle n’a ni trône ni demeure, seulement un souffle,
celui du monde qui cherche à se comprendre.
Sous son bandeau, elle ne dort pas.
Elle devine les contours du vrai,
comme on devine la forme d’un visage dans la brume.
Elle ne voit pas les couleurs, ni les rangs, ni les titres.
Elle écoute.
Et dans chaque voix, elle cherche la note juste,
celle qui résonne avec l’équité.
Mais la justice n’est pas un cristal pur.
Elle est faite de chair, de peur, de mémoire.
Elle se tache parfois du sang des innocents,
elle se voile du mensonge des puissants.
Et pourtant, elle persiste,
comme une flamme fragile que le vent n’éteint pas.
Dans les palais de marbre, elle se fait loi.
Dans les ruelles sombres, elle devient vengeance.
Dans les cœurs blessés, elle se transforme en pardon.
Chaque homme la façonne à son image,
et c’est peut-être là sa plus grande épreuve :
être mille visages à la fois,
sans jamais perdre son nom.
Le juge croit la servir,
le justicier croit la défendre,
le coupable la redoute,
et la victime l’attend.
Mais elle, la Justice, ne se donne à personne.
Elle se tient à distance,
comme une étoile qu’on suit sans jamais l’atteindre.
Parfois, elle se tait.
Elle laisse le temps juger à sa place.
Car le temps, lui, ne ment pas.
Il use les masques, il révèle les âmes,
il rend à chacun le poids de ses gestes.
Et quand tout s’efface — les lois, les sentences, les cris —
il reste une seule chose :
le regard intérieur,
celui qui sait, sans preuve ni témoin,
ce qui fut juste,
et ce qui ne le fut pas.
Alors, peut-être, la Justice n’est pas un tribunal,
mais un miroir.
Un miroir où chacun, un jour,
doit oser se regarder.