Les vieilles Folles

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Un lieu très moderne, artistique mêlant le passé et l’avenir, cosy. Des œuvres d’art contemporain et des gramophones anciens, des pièces collector, d'art aujourd'hui. Aux murs des portraits géants d’artistes des années cinquante, divas et crooners. À l’entrée, un taxi BB du début du siècle dernier, rouge vermillon. Avec au-dessus des feux de signalisation. 

Des salons ici et là, un espace de coworking où je travaillais assez régulièrement, deux restaurants, un jeune chef créatif et le tout ouvert ou séparé par des structures métalliques.

 

J’aimais les soirs, dans ce cadre nouveau. Animé, cosmopolite, coloré. Un personnel fréquemment étudiant aux côtés de professionnels. Des jeunes filles et des jeunes gens souriants et fort agréables.

 

Chris arriva un peu en retard, vu qu’Hagar nous fit changer par deux fois de lieu et d’heure. Elle se résout à nous suivre dans cette folle soirée du 3ème âge, au milieu des épicuriens, des ambitieux et des immortels. Je ne me sentais pas du tout dans la peau d’une sénior, même si la seule manière de durer et d’espérer parvenir à l’étape sénior. De durer et de tirer profit de la manière la plus élégante du grand âge. 

 

 

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Quel âge avais-je dans ma tête ? Celui du rire, des moments cocasses, du partage, de l’échange intelligent, drôle aussi et, évidemment, du rire en cascades.

 

Hier soir, nous fixâmes définitivement notre réputation de vieilles Folles, du moins dans l’esprit des différents personnels. Ce qui nous rendit hilares.

 

Arrivées à l’heure du rendez-vous avec Hagar, nous occupâmes le premier salon. Un coin tranquille, fort artistique, un salon de cuir profond et de grands coussins fondants. Un grand écran, occupant un large pan des deux grands murs, diffusait sans bruit des informations sous-titrées. Ce n’était pas dérangeant et de toute manière, on ne regardait pas. 

Était-ce l’ambiance feutrée, les abat-jours diffusant une lumière tamisée, qui déplurent à Hagar - qui sortait peu et n’était pas adepte de mondanités ?

Nous changeâmes de place et nous nous installâmes au salon du milieu, servi par un très beau bar américain. Des trentenaires et des quadras occupant de hauts tabourets s’abreuvaient d’eaux de vie raffinées et coûteuses et échangeaient. Un deuxième serveur vint à nous et nous lui dîmes que nous attendions quelqu’un. Ce que nous fîmes savoir un peu plus tôt à la jeune serveuse dans le coin cosy.

Quand le jeune homme plaça devant nous les menus à scanner, Hagar dont le téléphone venait de l’époque galactique me regarda et éclata de rire. Pourtant, nous trois, avions à peu près la même vieillerie, même si celui d’Hagar était assurément un vrai dinosaure. Et des smarts aussi, à côté, mais pas forcément de sortie. Comme si ces fameux téléphones qui feraient pleurer les jeunes d’aujourd’hui nous rassuraient ontologiquement. Hagar du moins refusait de s’en séparer : non, à la ségrégation et au séparatisme des téléphones T-Rex. 

 

Arriva Chris, perdue au loin, entre tous ces lieux ouverts et j’allai vers elle. Elle m’avertit l’après-midi, qu’elle mettrait de la laine, parce qu’elle était frileuse. Or, le Dress code était clair : élégance artistique. Difficile d’allier laine et art dans un lieu pareil. Et je lui répondis que le lieu étant fort chauffé, elle gagnait à mettre un chemisier en-dessous dans la perspective d’ôter le pull-over. Sauf si, évidemment, elle voudrait exposer sa poitrine.

 

Elle vint avec trench, écharpe, et deux pulls en laine, l’un au-dessus de l’autre. Et elle prit soin de lever le premier, pour bien nous montrer l’en-dessous, en plein bar, au milieu de jeunes architectes de la vie, entre verres de liqueur fine, jeune femme à la poitrine remontée on ne peut plus, jupe ras-les-pâquerettes et sourires aguicheurs et prometteurs d’émois à venir.

 

 J’étais hilare et nous n’avions encore rien mangé et encore moins bu. De toute manière, Chris et Hagar étaient abstèmes. Chris, à la rigueur, ne refuserait pas un tout petit verre à l'occasion. Quant à moi, il m'arrivas de temps en temps de trinquer, mais rarement en dehors de mes envies inspirantes.

 

Chris était spécialiste de la littérature japonaise. Il était prévu qu’elle nous parle de haikus, de Rashômon et autres contes de Ryûnosuke Akutagawa, des récits brefs et palpitants ; de Torii, ces portails traditionnels japonais qui délimitaient espace profane et sacré, des dieux japonais … 

Et on l’écouta et beaucoup de choses furent dites, un peu pêle-mêle, au milieu de crises de fous rires, à la vue de la tête des différents personnels devant nos exigences multiples. Finalement, nous mangeâmes au restaurant, parce que chacune avait son a priori sur les différents lieux que nous occupâmes – nous nous déplaçâmes trois fois. 

C’était sombre pour Hagar, un peu frisquet pour Chris. Je crois que pour ma part, je m’adaptais et j’avais choisi le lieu en amont. Quand j’y travaillais - quand j'y travaille - au matin, c’était autre chose : calme, ensoleillé, feutré, disposant d’un sky-dôme, dans la partie centrale. 

C’était pour moi une sortie, un soir pluvieux de novembre, premier jour de froid ( l’avant-veille, Hagar s’était baignée, un 13° Celsius, après du 25° depuis octobre ), entre amies aux antipodes les unes des autres, mais qu’unissait l’intelligence et qui aimaient s’écouter.

Après le souper et au moment de payer, nous sortîmes la calculette et chacune paya sa consommation. La carafe d’eau, au prix fort, fut payée l’équivalent de 8 euros et Hagar dit sa désapprobation. Chris, on ne sait toujours pas pourquoi, lui offrit les 8 euros et ce, contre toute attente. Pourquoi, comment, par quel calcul ? 

J’étais aux larmes. Des moments inestimables où chacune laisser couler sa psychologie profonde sans artifice aucun et tout naturellement. J’en ris encore ce matin.

Nous nous accrochons à la vie, dans l’humour, beaucoup d’intelligence et quelques blessures profondes, conscientes ou inconscientes. 

La vie était au rendez-vous, la santé - fantasque quelquefois -, le discours décousu, bondissant ici et là et, de toute un évidence, un personnel qui nous nomma les vieilles Folles, tant nous fîmes des remarques, tant nous fûmes exigeantes, tant nous calculâmes la douloureuse de mille manières erronées, tant j'évoquai le nom de la maîtresse des lieux ...

Hagar garda le don de Chris qui finit par nous offrir trois tisanes au milieu d’êtres in, de nuits d’amour brûlantes extincto, d’oubli et de méconnaissance totale de la mort. 

 

-       Garde le prix de la tisane dans ton escarcelle, me dit Chris, ce matin. Je lui répondis que j’aimais fort les mots.

 

En quittant les lieux vers 23h, le personnel dut souffler. « Pas de place pour les vieilles Folles, ici. » 

 

Nous y retournerons, fort probablement. À mon retour chez Didon.

 

 

 

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Publié le 22/11/2025 / 4 lectures
Commentaires
Publié le 22/11/2025
J’aime beaucoup ce carrefour de la vie et des inspirations, la découverte de nouveaux lieux pour se renouveler tant en expériences qu’en rencontres…. ce temps qui passe et ce bel enjeu que de l’accepter et l’aimer, d’en rire. Carpe Diem…
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